La Milanaise: veiller au grain

L’histoire de Robert Beauchemin

Lundi 28 septembre 2020
Ingénieur et mathématicien, il voulait cultiver sa terre de manière pérenne. Il y a quarante ans, on le qualifiait d’illuminé. Son entreprise produit aujourd’hui quelque 350 tonnes de farine biologique par jour. On parle désormais de lui comme d’un visionnaire.

Rigolant à la mention de la différence entre ces deux qualificatifs, Robert Beauchemin maintient que tout ce qui a changé en quarante ans, ce sont les mentalités, parce que lui, il a toujours fait la même chose. Son aventure dans le domaine de l’agriculture a débuté en 1972 au Québec, puis s’est déplacée en Afrique alors qu’il a entrepris d’y travailler pendant deux ans en développement rural. C’est là, selon ses dires, qu’il a appris les bases réelles de l’agriculture. « En n’ayant que de maigres ressources, on comprend vite le cycle de l’azote et le fonctionnement holistique. »

Formé en génie et en mathématiques, il a calculé à son retour au pays qu’environ 9,8 calories étaient nécessaires pour produire 1 calorie alimentaire avec le système d’agriculture alors en place. « J’ai constaté que j’avais un beau laboratoire devant moi », remarque-t-il.

La pluie et le beau temps

En 1978, Robert Beauchemin a ainsi entrepris de cultiver du blé destiné à la consommation humaine. À son arrivée au bureau des agronomes de Lac-Mégantic, on s’est moqué de l’idée parce qu’on pensait alors que le blé pour consommation humaine ne poussait pas dans la région, encore moins dans le village estrien de Milan. « Peut-être est-ce en raison de mon caractère fonceur, mais j’ai tout de même semé et, la première année, je dépassais déjà les rendements prévus. Même pour les blés d’automne réputés difficiles, nous avons obtenu un beau rendement et une qualité soutenue dès la première récolte. Je me suis donc mis à ne plus croire ce que les institutions me disaient et j’ai décidé d’en faire à ma tête. Le seul hic, c’est que j’avais tout prévu dans mon plan d’affaires concernant la production de blé… sauf le fait qu’il n’y avait pas de marché. Que fait-on dans ce cas-là? On achète un moulin et on fait de la farine! » Un petit moulin a donc été installé sur sa terre.

Parallèlement, Robert Beauchemin avait également un projet d’érablière. Et selon lui, si La Milanaise existe sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, c’est qu’il a plu à l’automne 1982. En effet, à l’été 1982, l’agriculteur a abattu des arbres sur près de 1400 m2 afin de construire une érablière l’hiver venu. L’automne qui a suivi a cependant été tellement pluvieux qu’il a été impossible d’aménager le chemin pour monter le bois au même moment où était lancé le plan national de développement de l’industrie de l’érable, qui a fait exploser la productivité et chuter les prix. Devant cet immense terrain désormais sans grand intérêt, Robert Beauchemin et son épouse ont incorporé l’entreprise et construit une première minoterie sur la ferme avec une meule de pierre.

C’est ainsi que la marque La Milanaise est apparue sur les tablettes des marchés de proximité, puis des coopératives d’alimentation naturelle. Au milieu des années 1980, l’émergence des premières boulangeries artisanales a également participé à l’essor des activités de l’entreprise. Grâce à cette tendance qui s’est par la suite accélérée, la Milanaise s’est taillé une place de choix auprès des adeptes de la boulange traditionnelle, du Québec au Vermont.

La levée du pain

À partir de 1984, commençant à manquer de blé pour assurer la production de farine de l’entreprise en croissance, Robert Beauchemin a dû en acheter auprès d’autres agriculteurs. Cherchant des fournisseurs qui partageaient les valeurs de La Milanaise et qui misaient sur un cycle beaucoup plus respectueux de l’environnement, il s’est mis à élaborer un cahier de charges pour encadrer les pratiques de ses fournisseurs. Ayant par ailleurs pris part à l’effort de réglementation et contribué à la mise en place du premier programme de certification biologique au Canada, il s’est retrouvé à la tête d’un important organisme d’agriculteurs biologique en 1992.

Devant la demande de farines biologiques qui s’est mise à croître, La Milanaise a accru sa capacité de production en 1996 en installant quatre meules de pierre dans un nouvel espace à Milan. Les lieux ont été agrandis deux fois par la suite, en 2004 et 2010. En 2005, l’entrepreneur a inauguré une seconde entreprise appelée Les Moulins de Soulanges à Saint-Polycarpe afin de faciliter l’augmentation de la production de blé.

Cette nouvelle entreprise visait les agriculteurs qui se trouvaient dans la période de trois ans de la transition réglementaire vers l’agriculture biologique. En se chargeant de ce blé de transition et en accompagnant les agriculteurs dans ce virage, la nouvelle entité a créé un nouveau marché pour ce qui a été qualifié d’« agriculture raisonnée », soit une agriculture qui, sans être biologique, n’utilise ni pesticide ni engrais (ou qui réduit considérablement l’utilisation de ceux-ci).

« Cette aventure a permis de multiplier nos connaissances en agronomie et en génétique du blé. Ça a aussi eu l’avantage d’amener de plus en plus de producteurs vers la production bio. »

Robert Beauchemin

L’année 2020 et la suite des choses

L’entreprise sert aujourd’hui le secteur industriel auquel elle livre sa farine en citernes, quelque 250 artisans répartis des deux côtés de la frontière, le marché de détail dans les grandes chaînes et les magasins d’alimentation naturelle ainsi que la chaîne Costco. Bien implantée dans le marché de l’Amérique du Nord, la Milanaise exporte aussi en Europe, quoique de manière restreinte, son développement étant axé sur les États-Unis et la côte Ouest canadienne et américaine.

Toujours en croissance, l’entreprise a ouvert en 2017 un moulin de dernière génération à Saint-Jean-sur-Richelieu. Un « bijou » d’automatisation selon le fondateur de La Milanaise, grâce à 14 km de câbles d’automation qui ont porté la capacité de production quotidienne à près de 350 tonnes de farine.

Le printemps mouvementé de l’année 2020 a forcé l’entreprise à se livrer à une gymnastique inédite afin d’approvisionner les commerces de détail où la farine semblait aussi importante que « le papier de toilette », selon Robert Beauchemin. Cette période a toutefois aussi eu l’avantage d’attirer l’attention des consommateurs sur la production locale. « Ça a brassé les certitudes sur l’alimentation, constate Robert Beauchemin. Les gens ont amorcé une certaine réflexion, qui ne perdurera probablement pas, mais qui leur a fait faire du pain… et apprécier le travail des autres. »

L’entrepreneur poursuit donc sa mission et sa réflexion pour traiter avec soin le produit agricole tout en rendant les aliments biologiques toujours plus accessibles aux consommateurs. Mais il n’est pas seul dans l’aventure. Il est entouré d’un directeur général et de deux de ses enfants, également membres de l’actionnariat de l’entreprise, qui a déjà amorcé la mise en œuvre d’un plan de transfert progressif.

La Milanaise en chiffres

350 tonnes : la quantité approximative de grains moulus chaque jour par la Milanaise
70 : le nombre de produits de La Milanaise (farines, graines, légumineuses et sucres)
250 : le nombre d’artisans qui utilisent les farines biologiques de La Milanaise dans leur entreprise