Tristan: capacité d’innover

L’histoire de Lili Fortin

Mardi 5 mai 2020
Présidente de l’entreprise familiale Tristan depuis 2017, Lili Fortin a pu tester sa capacité et celle de son organisation à réagir promptement lorsqu’elle a modifié, en l’espace de cinq jours, la chaîne de production de vêtements de l’entreprise afin de créer du matériel médical.

L’histoire de Tristan a débuté en 1973 quand Gilles Fortin et Denise Deslauriers ont acheté la boutique de vêtements Tristan & Iseult de Saint-Jean-sur-Richelieu afin de la faire croître. Le couple a réussi son pari, puisque la boutique s’est transformée, au fil du temps, en chaîne de magasins. D’aussi loin que se souvienne Lili Fortin, sa fratrie et elle ont été exposées aux rouages de la tenue d’une entreprise familiale. « Avant même de savoir ce que pouvait être un flux de trésorerie, j’assistais à la remise des états financiers », se remémore celle qui, à la fin de l’adolescence, est entrée au service de l’entreprise comme vendeuse. 

Alors qu’elle était au cégep, Gilles Fortin a ouvert un salon de coiffure dans l’un des magasins de la métropole québécoise. Constatant rapidement que le salon était difficile à gérer et désirant en rentabiliser les opérations, il a confié sa gestion à Lili Fortin. Cette dernière a ensuite pris les rênes de la division américaine de Tristan avant d’obtenir un MBA (selon la suggestion de Gilles Fortin), d’acquérir une expérience internationale en milieu manufacturier à Hong Kong et de développer en parallèle, depuis l’Asie où elle résidait alors, divers projets pour Tristan.

La reprise

En 2011, Lili Fortin est rentrée au pays pour travailler au sein de Tristan à titre de directrice du développement des affaires. Elle a piloté les opérations et fait évoluer l’entreprise, notamment en ajoutant à son catalogue les chaussures, une catégorie de produits qui s’agence bien à la raison d’être de l’entreprise selon elle. Quand elle a repris l’entreprise en 2017 et qu’elle en est devenue la présidente, Lili Fortin savait déjà qu’elle voulait poursuivre la mission de ses parents tout en préservant leurs valeurs, à savoir mettre l’accent sur la qualité et fonder toutes les décisions sur le respect des employés, de la marchandise et des clients.

« Par contre, la marque doit constamment se renouveler et parvenir à faire ce qu’elle a toujours bien fait tout en faisant souffler un vent de fraîcheur. Dans l’environnement hautement concurrentiel actuel qui comprend de plus en plus de joueurs internationaux, nous devons demeurer réactifs pour faire en sorte que notre marque soit considérée, même si elle profite d’une belle notoriété. »

Lili Fortin

Le savoir-faire local, une priorité

Depuis le tout début, le savoir-faire québécois a tenu une place importante dans le cœur des Fortin. C’est pourquoi, en 2004, Gilles Fortin a acquis une usine à Cookshire, en Estrie, qu’il a modernisée à grands frais. Tristan possède une autre usine à Farnham, en Montérégie.

Comme l’explique Lili Fortin, cette décision d’acheter des usines à une époque où une grande part des opérations étaient délocalisées en Asie était risquée. Afin d’assurer la poursuite des activités, l’usine de Cookshire a, entre autres, commencé à produire des uniformes pour la Défense nationale, la Sûreté du Québec et d’autres organisations à caractère institutionnel. Contre vents et marées, Tristan a conservé une portion de sa production au Québec, même si cela impliquait une marge de profit réduite.

Entrepreneuriat à l’état pur

À la mi-mars 2020, le choc. En raison du nouveau coronavirus qui a forcé la fermeture des points de vente et entraîné la diminution de la production, l’entreprise a dû procéder à des mises à pied temporaires. Un arrêt inquiétant pour Lili Fortin. « Nous nous sommes battus toute notre vie pour conserver une expertise et un savoir-faire au Québec, ce qui est, il faut le souligner, de moins en moins populaire. Si nous perdons ces travailleurs, ce sera très difficile de les remplacer. »

Rapidement, très rapidement même, on a demandé à Lili Fortin si ses usines pouvaient produire des visières médicales. Comme le relate cet article de La Presse, l’entrepreneure a réussi un coup de maître, soit de réussir en cinq jours à s’approvisionner en plastique auprès de Cascades et à mettre en branle le processus de production à l’usine située en Estrie. Cet exploit a été rendu possible grâce à un carnet d’adresses, à une usine pleinement fonctionnelle et à un réseau solide (Cascades a simplement fourni la matière première nécessaire au projet, mais comme le souligne Lili Fortin, « c’était un dimanche, et lundi matin, il aurait été trop tard. On parlait d’heures, pas de journées ».)

« Moi, je ne me suis jamais sentie comme une entrepreneure parce que j’ai repris l’entreprise. Il faut constamment réinventer une entreprise, mais en ce moment, nous sommes ailleurs complètement. Là, il est vraiment question d’entrepreneuriat à l’état pur, ce qui nous oblige à penser à des solutions à chaque instant. »

Lili Fortin

Lili Fortin insiste : afin de répondre aux besoins actuels, il faut être agile certes, mais plus que tout, rapide. « Dans un sens, le fait que nous produisions des biens dont les gens ont vraiment besoin, ça rend presque la chose facile. La règle est simple : si on n’arrive pas à le faire tout de suite, on rate sa chance. Plus que jamais auparavant, la rapidité, c’est le nerf de la guerre. »

Par exemple, l’entrepreneure explique avoir été en discussion avec le gouvernement pour un certain produit. À la suite d’une discussion avec son père, la présidente s’est retrouvée devant un dilemme concernant l’approvisionnement : sachant qu’il fallait prévoir trois semaines pour la livraison du tissu nécessaire, devait-elle commander celui-ci immédiatement ou attendre pour ce faire d’avoir reçu le bon de commande du gouvernement? Cet enchaînement rapide de décisions rappelle à Lili Fortin un adage souvent entendu : « Être entrepreneur, c’est se lancer hors de l’avion avant d’avoir fini de confectionner son parachute. » Par contre, l’entrepreneure se garde bien d’adopter une telle approche à long terme, car la prise de risques doit toujours être réfléchie.

Sa capacité à réagir rapidement a permis à Tristan de se positionner comme un chef de file de la production locale à grande échelle de visières. Dans les cinq premières semaines de production, quelque 180 000 visières sont sorties de l’usine de Cookshire. Grâce à ces nouveaux contrats, Lili Fortin a pu maintenir toute une usine en activité et rouvrir l’autre. Toutes les personnes de la chaîne de production qui avaient temporairement été mises à pied seront donc réembauchées.

« Mon père naviguait à contre-courant lorsqu’il a acheté ses usines il y a 15 ans. Nous, nous nous sommes toujours battus. Nous n’aurions pas pu faire ça si nous n’avions pas eu nos usines. Il y a 10 ans, quand tout partait en Asie, il fallait payer pour garder les emplois. Mais aujourd’hui, c’est un atout extraordinaire. »

L’avenir : plus local?

La présidente de Tristan pense que la situation actuelle forcera le gouvernement à réfléchir à la relation entretenue avec des pays étrangers pour l’approvisionnement dans certains secteurs. De fait, l’urgence de produire au Québec a soulevé toutes sortes d’enjeux qu’on avait tendance à taire jusqu’à maintenant : la disparition de la production textile locale, le manque de main-d’œuvre qualifiée et d’investissements dans les usines de plusieurs secteurs… Selon l’entrepreneure, cette confrontation avec la réalité est nécessaire : des mesures devront être prises pour conserver certains savoir-faire au Québec.

« Je crois que les entrepreneurs ont une fibre de combattant. Et c’est absolument nécessaire en ce moment. Nous sommes en guerre contre un virus et, ensuite, nous lutterons pour continuer de mener nos activités commerciales. Nous devons faire face à la situation avec humilité, sans nous décourager, et demeurer ouverts et prêts à réagir rapidement. »

En attendant la réouverture des magasins, les usines de Tristan continueront de produire, outre les uniformes, des visières médicales, des blouses et ensembles médicaux commandés par une tierce partie et possiblement d’autres équipements.
 

Tristan en chiffres :

45 : le nombre de boutiques Tristan au Canada
2 : le nombre de pays où Tristan effectue des ventes en ligne (Canada et États-Unis)
180 000 : le nombre approximatif de visières fabriquées à Cookshire dans les 5 premières semaines de production